Méthode Feldenkrais et Créativité

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DOULEUR CHRONIQUE … et Méthode Feldenkrais

DOULEUR CHRONIQUE … et Méthode Feldenkrais

La Méthode Feldenkrais semble s’occuper en premier lieu de notre organisation dans la posture et dans le mouvement. On y apprend à mieux utiliser le soutien du squelette, à faire des gestes qui sont mieux appropriés à notre physiologie. Et effectivement, nombre de personnes ont mal au cou ou aux épaules parce qu’elles ne savent pas comment se tenir droit, ou parce qu’elles font des gestes répétitifs qui induisent des contractures chroniques et risquent à terme d’abîmer leurs articulations. Cela peut représenter un pourcentage important des cas de douleurs chroniques, provenant de mauvaises postures ou de gestes répétitifs.Mais par-delà ces problématiques, ce qu’il y a de propre à la douleur chronique, c’est une sensation de douleur qui peut être activée à tout moment, au point que cela devient un schéma répétitif de comportement. Le système nerveux est en état d’alerte permanente, et ne peut jamais s’apaiser, se « reposer », le moindre signal peut refaire partir la sensation de douleur. Et là, l’intérêt de la Méthode Feldenkrais, c’est sa démarche pédagogique si particulière, basée sur une qualité d’attention très fine aux sensations, une manière constructive de « s’écouter », qui va permettre d’apaiser le système nerveux. En cela, la Méthode Feldenkrais apporte des outils précieux aux personnes touchées par les problèmes de douleur chronique, tout à fait cohérents et complémentaires d’une approche par l’auto-hypnose.

C’est pour cela que j’ai eu envie de partager avec vous aujourd’hui quelques éléments d’un podcast passionnant, diffusé sur le site d’une de mes collègues Feldenkrais, praticienne américaine, Tiffany Sankary, qui interviewait une formatrice spécialisée sur le sujet de la douleur chronique, Deborah Bowes. L’intégralité de l’intervention (en américain, environ 45’) peut être retrouvée ici.  Je vous propose un résumé de quelques points qui m’ont plus particulièrement interpelée, d’autant plus qu’ils résonnent sur ma propre expérience de travail avec des personnes confrontées à des douleurs chroniques, soit par la Méthode Feldenkrais, soit avec l’Hypnose Générative.  

Mais tout d’abord, rappelons la définition de la douleur chronique telle qu’elle est énoncée par la haute autorité de santé.

La Haute Autorité de Santé définit la douleur chronique comme un syndrome multidimensionnel exprimé par la personne qui en est atteinte. Il y a douleur chronique, quelles que soient sa topographie et son intensité, lorsque la douleur présente plusieurs des caractéristiques suivantes : 

  • persistance ou récurrence, qui dure au-delà de ce qui est habituel pour la cause initiale présumée, notamment si la douleur évolue depuis plus de 3 mois ;
  • réponse insuffisante au traitement ; 
  • détérioration significative et progressive du fait de la douleur, des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient dans ses activités de la vie journalière, au domicile comme à l’école ou au travail.

Lorsqu’elle devient chronique, la douleur perd sa ‘finalité’ de signal d’alarme et elle devient une maladie en tant que telle, quelle que soit son origine.

La douleur chronique est fréquemment associée à des facteurs de renforcement, qui participent à son entretien comme :  

  • des manifestations psychopathologiques ;
  • une demande insistante par le patient de recours à des médicaments ou à des procédures médicales souvent invasives, alors qu‘il déclare leur inefficacité à soulager ;
  • une difficulté du patient à s’adapter à la situation. 

La douleur chronique doit être appréhendée selon un modèle bio-psycho-social, sa prise en charge reposant d’abord sur une démarche évaluative puis sur un traitement, souvent multi-modal, dont l’objectif est réadaptatif.

Deborah Bowes nous explique que ce qu’elle observe chez les personnes souffrant de douleur chronique, c’est un amoindrissement significatif du registre des mouvements qu’elles se permettent, qui va ensuite être relié à une diminution notable de leurs actions.

Le mouvement est souvent associé au déclenchement de douleurs. De plus en plus de mouvement sont entachés d’une crainte chez la personne : « puis-je faire tel ou tel mouvement sans risquer de déclencher une douleur ? ». Et cette crainte peut s’étendre et se généraliser. On peut même parler de phobie du mouvement. Le système nerveux, en état de stress, redoute de plus en plus chaque mouvement. Et on comprend bien que les conséquences sur la vie sociale ne vont pas tarder à s’en suivre : réduire ses mouvements, c’est réduire son champ d’action et son champ d’attention. On refuse une sortie, une soirée, un projet, on redoute telle ou telle « charge » de travail, on n’a plus la disponibilité de s’intéresser aux soucis des autres. Ce qui peut conduire à plus ou moins long terme vers dépression et solitude.  

La première étape pour prendre en charge une douleur chronique par la Méthode Feldenkrais consiste à « rassurer le système limbique » épuisé par les messages de douleurs.

Pour cela, on va s’efforcer de recréer des occasions d’expérience de mouvement sans douleur. Aider d’abord la personne à trouver une position relativement confortable au départ, et chercher précisément quels mouvements peuvent être engagés et exécutés sans réactiver le circuit de douleur. Même s’ils sont minuscules, même s’il y en a très peu au départ, il est essentiel pour le système nerveux d’expérimenter à nouveau l’absence de douleur dans l’intention de mouvement et sa mise en œuvre. Cette première expérience permet ensuite d’apprendre à différencier, d’apprendre à anticiper ce qui pourrait provoquer la douleur, et à faire d’autres choix dans la manière de faire le mouvement.

Cela peut être des mouvements très simples, comme tourner la tête d’un côté et les yeux de l’autre, ou soulever à peine une épaule. L’essentiel est d’entrer profondément dans l’expérience, d’y apporter une certaine qualité d’attention. Même un très petit mouvement peut alors devenir un grand voyage passionnant : en adaptant la « focale » d’attention du mouvement, on réveille doucement la curiosité.

Ce mot curiosité est le premier dans le titre du podcat de Deborah Bowes : Curiosity, compassion and pain. Et oui, quand la curiosité peut prendre le pas sur la douleur, alors on est sur le bon chemin.

Ainsi ma propre expérience, quand une personne vient me voir avec une douleur chronique pour une séance, je peux être contente si elle n’a plus mal à la fin du travail. Mais si c’est son seul « retour », alors je considère que je n’ai pas atteint mon objectif, et je sais que la douleur est prête à revenir submerger mon élève à la première occasion. En revanche, je suis très contente quand la personne « oublie » de me parler de son niveau de douleur parce que son attention a été attirée par autre chose : « ah tiens, c’est rigolo de pouvoir bouger comme cela » ou bien « je me sens tout relâché, je ne sais plus comment je me tiens droit ». Il est plus précieux à long terme de réveiller la curiosité de l’élève que de faire disparaître la douleur ! Car cela signifie que la personne est en train de s’approprier des outils pour emmener son attention au-delà de la douleur, ce qui est le moyen le plus pérenne de l’atténuer.

Il ne s’agit pas du tout pour autant de la nier. Deborah Bowes parle de l’importance de mettre des mots sur la douleur chronique, de redonner la parole aux gens qui en souffrent. Il s’agit ici de rappeler que la douleur chronique n’est pas un diagnostic médical mais une expérience de vie particulière.

Elle raconte qu’elle pose souvent une question à ses élèves qui est

« Pouvez-vous penser à une activité que vous pourriez pratiquer et qui vous ferait vous sentir mieux » ?

Et le plus souvent, les personnes commencent par répondre « non ». Elles n’arrivent plus à reconnaître les moments où il y a moins de douleur. Elles savent très bien ce qui risque d’augmenter leur douleur, mais elles n’arrivent plus à porter attention sur ce qui pourrait la diminuer, même un tant soit peu.  Une sieste, écouter de la musique, prendre un bain ? Apprendre à reconnaître ce qui peut diminuer même un tant soit peu la douleur est aussi une étape importante et Deborah Bowes nous explique à quel point elle y est attentive lors des leçons de PCM qu’elle anime pour ce public particulier. A chaque instant, elle peut proposer d’ajuster, de NE PAS faire le mouvement, d’arrêter la séance, ou de rajouter un support, un coussin, ou tout autre élément favorisant le confort. C’est là un signal très fort que reçoit le système nerveux : être écouté pour favoriser le bien-être. Il s’agit de valider et de soutenir une démarche de réappropriation des sensations par la personne.  

On peut aussi travailler cette dimension par l’hypnose pour rouvrir à la sensation de bien-être et de confort un chemin qui avait fini par se fermer. Venir sentir en état de conscience modifié ce qui pourrait être agréable et facile va avoir un impact sur le système nerveux. En cela, je pense que Feldenkrais a été nourri du travail d’Erickson. Il s’agit de mettre le système nerveux en état de recréer des connexions pour trouver les meilleures solutions de mouvement, qui correspondent à la fois à notre physiologie et au contexte dans l’instant. Je ne me lasse pas de cette phrase de Feldenkrais si souvent citée : « l’impossible devient possible, le possible devient facile, puis agréable ».

Une fois cette curiosité réveillée, Deborah Bowes partage dans son podcast une sorte de « protocole des cinq questions », très performant pour aider à sortir du schéma de douleur qui s’est installé dans le système nerveux.

Elle nous explique qu’elle a constaté que chaque fois que la douleur se déclenche, il y a des réponses automatiques dans certaines parties du corps ou dans certaines fonctions. Il s’agit d’aider la personne à les repérer, et de lui suggérer d’expérimenter un tout petit changement par cette porte d’entrée, qui aura ensuite des répercussions sur le schéma tout entier.

  • 1) Les yeux : pouvez-vous observer ce que vous faites avec les yeux quand la douleur augmente ? Est-ce que vous pourriez changer une petite chose à cet endroit-là, adoucir leur mouvement par exemple, ou sentir le poids des yeux ?
  • 2) Les mains : souvent les personnes font quelque chose avec les mains quand elles sont en pic de souffrance : les crisper, les serrer l’une contre l’autre, garder une main ou l’autre rigide. Pouvez-vous observer comment sont vos mains quand vous souffrez ? pouvez-vous éventuellement les relâcher, faire un petit mouvement ? comme par exemple les ouvrir et les fermer doucement depuis la paume de main, comme une anémone de mer ?
  • 3) Les pieds : là encore, il y a souvent des schémas associés, une rigidité dans les chevilles, un appui sur le bord externe, etc. Là encore, pourriez-vous imaginer changer quelque chose au niveau de l’organisation de vos pieds ?
  • 4) La respiration : que faites-vous avec la respiration quand vous souffrez ? Vous l’arrêtez ? après avoir inspiré ou après avoir expiré ? ou alors vous l’augmentez artificiellement ? Que pourriez-vous « adoucir » dans votre respiration ? Ce point est très important : la respiration est un des leviers les plus puissants pour modifier l’état du système nerveux et le ramener vers le calme.
  • 5) Le soutien : quel pourrait être votre meilleur soutien, que ce soit sur le plan physique, social, financier. Où est votre soutien ? Auquel pouvez-vous faire appel ?  Avec l’idée là encore que pouvoir éprouver la sensation d’être soutenu, de quelque manière que ce soit, y porter attention, va aider la personne à retrouver une forme de confiance et apaiser son schéma de sensibilité à la douleur.  
  • Et 6) La question subsidiaire : Deborah Bowes nous explique que souvent, les personnes évoquent ensuite spontanément une zone de leurs corps qui leur est propre et où soudain, elles repèrent une réaction figée quand elles souffrent : serrer la mâchoire, crisper le cou, etc… Là encore, c’est une occasion de « reprendre la main » sur leur sensation de douleur.

Sur la suite du podcast, Deborah Bowes développe aussi l’importance de l’état émotionnel : un état émotionnel négatif va favoriser la sensation de douleur. Il peut être intéressant à un moment de travailler sur ce que signifie la douleur pour une personne. Deborah Bowes raconte qu’elle a traversé une longue période de douleur devenue chronique à la suite d’un accident. Elle estime que cette douleur a sans doute été favorisée par le fait qu’elle n’arrivait pas à évacuer sa colère consécutive à l’accident dont elle ne s’estimait pas responsable. Elle raconte aussi qu’elle a souffert de se sentir jugée, et a manqué souvent de soutien psychologique de la part de la plupart de ses médecins et même de certains praticiens Feldenkrais qui tenaient absolument à ce qu’elle fasse « bien » les mouvements. Elle souligne à quel point dans son expérience de la douleur, les dimensions sociale, biologique et émotionnelle étaient profondément reliées.

La Méthode Feldenkrais aide les gens confrontés à la douleur chronique quand elle offre du soutien, de l’écoute, elle permet de ne pas rester enfermé dans la sensation de douleur. Elle est pour les personnes l’occasion d’apprendre à s’écouter, à sentir ce dont elles ont besoin. Elle ne fait pas disparaître la douleur, mais elle donne des outils pour la contenir de mieux en mieux, et pouvoir mobiliser son attention vers une vie qui retrouve ses couleurs et sa richesse.

Cet article vous a interpelé ?
Vous êtes concerné par la question de la douleur chronique ?
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Blandine Stintzy, mai 19

 

 

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