Méthode Feldenkrais et Créativité

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Paris

 

DOCTEUR ! … ECOUTE-MOI!

DOCTEUR ! … ECOUTE-MOI!

Dans ma pratique, tant en Méthode Feldenkrais qu’en Hypnose Générative, je vois régulièrement arriver des personnes qui ont d’abord essayé tout un tas d’approches, du côté de la médecine « officielle » puis des médecines alternatives comme l’acupuncture ou la naturopathie, ou d’autres pratiques comme le yoga, ou la gym douce. Et nombre d’entre elles n’ont pas trouvé auprès de la médecine « scientifique occidentale » l’accompagnement dont elles ressentent le besoin.

C’est dommage, voire dommageable, car pour certains cela érode leur confiance dans la médecine, au risque de les mettre en danger. Mais ce qui revient le plus souvent quand les gens se plaignent de leur rapport à la médecine, c’est qu’ils ont souffert de ne pas se sentir entendus.

Ils déplorent que leur interlocuteur médecin ne reconnait pas leurs symptômes, ou carrément les nie, ou au mieux refuse de les relier à la problématique pour laquelle ils sont suivis.

Non, non, vos problèmes de digestion n’ont rien à voir avec votre AVC.
Bon, la hanche que j’ai opérée va bien, pour votre genou, il faudra voir un autre spécialiste.
Votre opération a réussi : si vous avez encore mal, voyez un psy ou faites du yoga !

Et vous, cela vous est arrivé de ne pas entendre de la part d’un médecin les paroles que vous espériez ? Voire même qu’il ne veuille pas entendre parler de ce que vous vivez, qu’il refuse de croire à ce que vous constatez comme symptôme ?

 

Eh bien figurez-vous que c’est arrivé à un médecin neurologue Oliver Sacks, qui a raconté son expérience dans son livre SUR UNE JAMBE.

Au cours d’une excursion en Norvège, Oliver Sacks fait une chute qui occasionne une rupture des tendons du quadriceps, un des muscles de la cuisse. Après un sauvetage mouvementé Oliver Sacks sera opéré mais… ne parvient pas à recouvrer l’usage de sa jambe. Elle ne peut plus bouger, il ne la sent plus, ne peut plus imaginer où elle se trouve s’il ne la voit pas. Elle ne fait plus partie de lui.

L’ouvrage se lit comme un roman, et Oliver Sacks nous fait partager toutes ses mésaventures et surtout les émotions qu’elles occasionnent, depuis la chute dans un endroit désert loin de toute habitation et la course contre la montre pour se mettre à l’abri du froid malgré la douleur et l’impossibilité de marcher… jusqu’au désarroi immense qui l’envahit quand son chirurgien refuse de l’écouter, se contentant d’affirmer que l’opération est réussie…

Rassurez-vous c’est une histoire qui finit bien : Oliver Sacks a fini par retrouver tout l’usage de sa jambe. Et là encore, c’est un parcours intéressant, dont certaines étapes pourraient parfaitement s’intégrer dans une leçon Feldenkrais :

-ne pas s’arrêter au symptôme
-penser à la fonction, à l’intention de mouvement reliée à la vie
-prendre le temps
-interroger encore et encore
-envisager le mouvement dans sa globalité et pas seulement pour la partie blessée

Et Oliver Sacks raconte comment le fait d’écouter de la musique a été décisif dans son processus de guérison. Cela lui a permis de réintroduire de la cohérence là où tout n’était que chaos, dans ses sensations, ses mouvements, ses émotions.Et aussi bien en Hypnose qu’en Méthode Feldenkrais, on pourrait tout à fait parler de musicalité et d’harmonie…

Mais je ne résiste pas ici à vous retranscrire le passage de son livre où il décrit la première visite du chirurgien, presque une semaine après son opération, alors qu’il n’avait pas dormi depuis deux nuits, étreint par l’angoisse de ne plus sentir sa jambe, et de la voir se ramollir.

-Bien, Sacks, comment va la jambe aujourd’hui ?
-Chirurgicalement, elle semble aller bien, docteur.
-Chirurgicalement ? Qu’entendez-vous par là ?
-Eh bien… hum… (je levais les yeux vers l’infirmière, mais son visage était de pierre) je n’ai pas très mal et… hum… mon pied n’est pas enflé.
-Magnifique, dit Swan, manifestement soulagé. Pas de problèmes, si je comprends bien ?
-Eh bien, juste un. (Voyant l’air sévère de Swan, je commençai à bégayer.) C’est… C’est… Je n’arrive pas à contracter mon quadriceps… et, hum… il est complètement atone… Et et j’ai du mal à localiser ma jambe.

Swan me parut un instant effrayé. Mais cette expression fut si rapide et fugitive que je n’étais même pas sûr qu’il l’ait eue.

-C’est absurde, Sacks, dit-il sur un ton sec et autoritaire. Il n’y a aucun problème. Absolument aucun. Rien qui puisse vous inquiéter !
-Mais…, osai-je tout de même.
-Vous vous trompez complètement, m’interrompit-il en levant la main comme un policier qui arrête la circulation. Il n’y a rien d’anormal. Vous comprenez, n’est-ce pas ?

Apparemment irrité, il se dirigea brusquement vers la porte, ses assistants s’écartant avec déférence pour lui laisser le passage.
J’essayais de saisir des expressions sur les visages avant qu’ils ne disparaissent, mais je ne pus rien y lire, ils étaient fermés. Rapidement, la procession passa la porte.

J’étais assommé. Toutes ces angoisses, ces incertitudes et ces peurs, le martyre que j’avais souffert depuis que j’avais découvert l’état de ma jambe, tous les espoirs que j’avais nourris à propos de cette entrevue – pour ça ! Je me demandais quelle sorte de médecin et de personne il était. Il ne m’avait pas même écouté, ni manifesté d’intérêt pour ce que je lui disais.

Dans la suite de son récit, Sacks tente d’autres manières de parler au spécialiste, d’homme à homme, de médecin à médecin, mais ça restera peine perdue.

Heureusement pour lui, Sacks a pu utiliser sa connaissance du fonctionnement du système nerveux pour chercher à comprendre, et surtout à améliorer son état. Il raconte comment il a pu bénéficier tout de même du soutien de certaines infirmières ou kinés.

Et surtout c’est devenu pour lui une cause scientifique : il a pu se mettre en contact avec des précurseurs sur le sujet. Et il a pu échanger avec des patients en centre de rééducation pour constater qu’il n’était pas le seul à avoir éprouvé les troubles dont son chirurgien ne voulait pas entendre parler !

Est-ce cet accident qui a conduit Oliver Sacks à consacrer une grande partie de sa vie aux « affections sur soi », sa spécialité, je ne le sais pas. Mais ce livre Sur une jambe précède son ouvrage le plus fameux L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau .

Et puis j’ai envie de croire à cette belle histoire d’un accident de vie, de l’écoute d’une sensibilité, d’un discours à contre-courant qui va être l’occasion d’initier une carrière originale et pourtant internationalement reconnue.

Mais pourquoi son médecin ne l’a-t-il pas écouté ? Etait-ce une question de statut,  de définitition de son rôle ?

Un médecin est supposé maîtriser un savoir scientifique. On attend de lui qu’il propose des solutions reconnues et éprouvées, validées par les autorités scientifiques. Et rares sont les médecins qui peuvent supporter d’être mis dans une situation où ils devraient reconnaître qu’ils ne savent pas, qu’ils n’ont pas de solution toute prête pour leur patient.

Je suis de plus en plus convaincue que la compétence d’un praticien Feldenkrais, c’est justement d’accepter de ne pas savoir, et d’explorer avec la personne.

Bien sûr, nous savons des choses : un bon praticien aura appris les bases d’anatomie, connaît le squelette, les formes des différentes articulations et les mouvements qu’elles permettent, la coordination des muscles. Il aura étudié un minimum le fonctionnement du système nerveux, la notion de développement psychomoteur et d’image de soi dans le mouvement.  Il y a des connaissances à maîtriser pour être un bon praticien Feldenkrais. Et elles évoluent car la science chaque jour enrichit notre palette de questions.

Mais ce qui me semble le plus spécifique à notre pratique, c’est que nous accompagnons les personnes avec qui nous travaillons sur un chemin d’exploration et de curiosité.

Nous ne savons pas à l’avance ce qui va être favorable pour cette personne.
Nous questionnons.
Nous cherchons.
Nous explorons.
Bien sûr, nous avons des « cartes » grâce à nos connaissances techniques et scientifiques.
Mais nous ne connaissons pas le chemin de cette personne, qui va dépendre non seulement de son diagnostic, mais de son vécu, de son histoire, du rapport qu’elle a avec son corps, de sa manière de penser, de son « image d’elle-même ».
Nous essayons de chercher comment la personne peut se remettre en mouvement.
Ou plus exactement comment elle va pouvoir se sentir reliée à l’action.
En intention, par l’imagination, dans la réalité de l’espace, en petit mouvement, ou dans un grand élan.

Et là, les possibles sont en nombre infini !
Je ne travaille pas avec un protocole établi à l’avance.
Faisons place à la surprise.

Il arrive qu’un problème d’acouphène nous conduise à travailler sur la souplesse des chevilles.
Et que cela fasse remonter un souvenir d’enfance enfoui.

On cherche ensemble, ce qui fait sens.
En incluant le ressenti de la personne.

On accueille les douleurs.
Mais on invite aussi ce qui fait du bien.

On invite la possibilité d’imaginer trouver plus d’espace, de confort.
Pour stimuler le système nerveux.

Se sentir bien dans le corps.
Et aussi dans ses émotions.

Dans les souvenirs qui façonnent cette personne qui est là en face de moi.
Et ce qu’elle imagine possible ou pas : c’est ce qu’on appelle l’image de soi
En prêtant attention à ce qui surgit, y compris ce qui peut paraître un détail, on trouve parfois le chemin d’une avancée étonnante.
On retrouve certes une cohérence dans le mouvement qui peut amener du confort.
On fait le lien entre une douleur au bassin et un accident de genou oublié il y a longtemps.

Mais surtout la personne apprend à s’écouter de manière constructive : dans une intention d’action et de mouvement.

Se faire du bien, s’écouter, convoquer son intelligence somatique.
C’est cela qui va à la fois susciter une énergie de guérison,
et lui permettre de sentir autre chose que ce qui la fait souffrir.

De sentir ce qui l’anime.
De réveiller sa curiosité, notre plus puissante source d’énergie renouvelable.

Et pour ce qui est des médecins, Oliver Sacks raconte comment sa vieille tante de 82 ans était venue le voir à l’hôpital et lui délivrer cette bonne parole :

« Sois gentil, Oli ! me pria-t-elle. Ne te braque pas contre le docteur Swan. Ne l’appelle pas le « chirurgien », ça manque d’humanité ! Rappelle-toi qu’il est un être humain, aussi humain que toi. Et peut-être encore plus réservé que toi. Les ennuis commencent quand on oublie que nous sommes tous des êtres humains ».

Mais Oliver Sacks reconnaît qu’il n’est pas arrivé à tenir compte de ces bons conseils… et qu’il l’a regretté. Et vous, y arriverez-vous ? Plutôt que de perdre votre énergie en colère inutile, pourrez-vous plutôt…

Profiter de tout ce que la médecine « classique » peut vous apporter !
Tout en continuant de chercher ce qui pourrait vous faire du bien et vous soutenir ?
En utilisant votre imagination pour inventer cet état dans lequel vous aimeriez être ?!
Car oui, le corps et l’esprit vont ensemble.

Et pour aujourd’hui, j’aimerais conclure par la phrase préférée de Milton Erickson telle qu’elle est citée par Steve Gilligan, auprès de qui je me suis formée à l’Hypnose Générative.

I don’t know, but I’m curious about!

Blandine Stintzy, novembre 20

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