l’intelligence “par le corps”

l’intelligence “par le corps”

 

Nous avons tendance à valoriser une intelligence rationnelle, scientifique, affranchie du corps et de la subjectivité. Quitte à estimer que pouvoir « oublier nos corps » serait une composante du progrès. Mais le corps ne se laisse pas oublier si facilement, et heureusement, car il est un atout précieux pour notre intelligence.

Je pense donc je suis…

Cela remonte peut-être aux philosophes des Lumières, mais nous avons tendance très souvent à estimer qu’il y a supériorité de la pensée sur le corps, que celle-ci serait la preuve de notre « humanité ». Et nous cherchons à nous affranchir des contraintes corporelles pour développer une pensée rationnelle, objective, pouvant modéliser le monde. Et cela a sans doute ouvert la voie au progrès scientifique et à la croissance.

Vivre par-delà nos corps

Aujourd’hui, nous pouvons même pousser à l’extrême cet affranchissement du corps grâce à la réalité virtuelle. Il nous est possible d’avoir accès à des montagnes de données d’un seul clic, sans nous déplacer… et la réalité virtuelle nous permet d’aller partout sans que nos corps bougent du canapé !

Ainsi Sébastien Bohler décrit bien cette évolution dans son livre LE BUG HUMAIN.

« S’il fallait brosser un portrait-robot de l’être humain du XXIème siècle dans une large partie du monde industrialisé, ce serait celui d’un individu en surpoids, se déplaçant peu, travaillant de moins en moins, se distrayant par des jeux vidéo sans se lever de son siège, se gavant d’informations sur des écrans, faisant une forte consommation de pornographie virtuelle et vérifiant toutes les dix minutes si l’image qu’il envoie au monde entier par les moyens de télécommunications numériques est aussi avantageuse qu’il le souhaiterait. »

L’image même de nos corps peut être désormais retouchée, embellie, réinventée par des filtres sur la plupart des applications. Au point que certains ados ne supportent même plus leur image « réelle » dans un miroir.

Et le développement du secteur tertiaire surfe sur la même tendance dans le travail : les métiers font de plus en plus appel aux qualités intellectuelles, alliées à des ordinateurs, et donc se pratiquent en position assise. Le corps n’est plus qu’un élément périphérique, qu’on voudrait simplement pouvoir oublier quand on est au travail.

On peut oublier son corps, ne plus en prendre soin, comme le montre l’augmentation de certaines maladies type diabète, obésité, TMS… Et si on s’occupe de son corps, c’est pour le dompter : musculation, cures d’amaigrissement, voire opérations de chirurgies esthétiques.

Mais le corps proteste

Le corps ne se laisse pas oublier si facilement, et se manifeste à sa manière.
D’abord par toutes ces maladies liées à une trop grande sédentarité, comme les maladies cardio-vasculaires, l’obésité, le diabète, les divers troubles musculo-squelettiques, maux de dos, d’épaules, de nuque, etc…

Et puis il y a ces troubles psychiques dont les premiers symptômes se manifestent aussi dans le corps : fatigue de la dépression, difficultés respiratoires liées à l’anxiété, sensation d’impuissance du burnout…

Nous voici obligés de tenir compte de nos corps, de nous en occuper.
Le premier réflexe serait de se dire qu’il faut trouver le moyen de calmer le corps pour repartir de plus belle. Comme dans l’expression anglaise

« Let’s fix it ! »

Mais on pourrait aussi faire autrement, prendre en compte ce que nous dit le corps… c’est ce à quoi nous invite la Méthode Feldenkrais

Revenir à l’écoute du corps

Dans ce travail, nous apprenons à écouter nos corps. Non pour rester sur l’inventaire de nos douleurs, mais développer une manière de bouger différente

-qui prend en compte l’anatomie du squelette et des muscles,

– qui utilise tous nos sens, dont l’équilibre et la proprioception

– qui permet de mieux doser nos efforts

– et donc de préserver notre énergie pour réaliser nos intentions

Une manière de bouger en quelque sorte “plus intelligente”!

Et cela s’apprend grâce une pédagogie basée sur l’expérience, l’expérimentation, le droit à se tromper. Il ne s’agit pas de « bien faire » comme on nous dirait, de reproduire des mouvements « idéaux », mais bien de se baser sur une qualité d’attention particulière, de développer une autonomie en faisant confiance aux messages de notre corps.

 

Réintégrer le corps dans l’action

Cet apprentissage du mouvement ajusté en conscience à chaque instant à nos sensations va favoriser aussi une écoute de plus en plus subtile et ouverte de ce qui se passe à l’intérieur de nous.

Or le corps est le premier lieu où se manifestent les émotions, avant que nous puissions les identifier et les qualifier avec des mots, et essayer de les analyser.
Quand nous entraînons une meilleure écoute de notre corps, nous entendons d’autant mieux ces émotions dès qu’elles se manifestent. Et nous pouvons en tenir compte, leur donner des réponses appropriées avant qu’elles ne nous submergent.

Notre corps nous dit si nous sommes prêts à nous engager dans le projet comme nous l’imaginions. Ou alors nous pouvons parfois sentir le creux de l’estomac noué, comme si une partie de nous était plutôt encline à reculer, et cela veut dire qu’il nous manque encore quelques éléments pour foncer…

Cette écoute du corps développe notre intelligence émotionnelle, notre intuition.

 

Et le corps qui a trop mal, ou qui refuse d’avancer ?

C’est souvent l’indice qu’il a été trop longtemps délaissé, qu’on n’a pas pris le temps d’écouter les signaux faibles.
Alors des compensations de sont mises en place, pour pouvoir encore continuer…
Jusqu’à ce que le corps n’en puisse vraiment plus, et que la douleur chronique s’installe.

J’ai parfois des personnes qui commencent un travail en Feldenkrais pour une douleur aux cervicales, et les premières séances sont surtout l’occasion pour elles de découvrir à quel point elles ont de multiples douleurs dans différents endroits du corps… qui se répondent !

 

Apprendre à s’écouter pour avancer plus « intelligemment »  

Mais peu à peu, on peut apprivoiser tout cela.
La personne apprend à écouter son corps, à déployer les mouvements qui lui conviennent.
Avec éventuellement un travail complémentaire en Hypnose Générative, quand il y a des émotions difficiles, des conditionnements ou des souvenirs à interroger.  

En se réconciliant avec son corps en mouvement, on apprend à avancer avec plus d’écoute, moins d’efforts, et donc cela nous permet de réaliser nos intentions…

Citons cette belle phrase de Feldenkrais qui définissait ainsi sa méthode :

« une démarche d’apprentissage pour pouvoir réaliser les rêves inavoués des personnes »…

 

Et pour l’intelligence cognitive ?

Ne vous inquiétez pas, vous ne serez pas « plus bête » en apprenant à écouter votre corps en mouvement.
Une étude récente a démontré qu’une activité physique soutenue favorisait une amélioration du niveau des enfants en mathématiques ! Les résultats sont notamment détaillés dans cet article du Point. L’intelligence cognitive aussi est stimulée et renforcée par des activités physiques notamment celles qui supposent des stratégies par rapport à notre perception du monde alentour et des coordinations particulières entre les différentes parties de notre corps. Et c’est bien le cas dans la pratique de la Méthode Feldenkrais.

Alors ?
Prêts à être plus intelligent “par votre corps”  ?
Quitte à renouer avec vos instincts et votre puissance animale?

Blandine Stintzy
avril 2024