Méthode Feldenkrais et Créativité

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Paris

 

Méthode Feldenkrais : toujours questionner, et continuer d’apprendre…

Méthode Feldenkrais : toujours questionner, et continuer d’apprendre…

Beaucoup de personnes viennent à la Méthode Feldenkrais pour soulager des maux de dos, ou des douleurs articulaires. Et on dit qu’un bon prof doit donner l’exemple.

Alors se pose la question : est-ce qu’un prof de Feldenkrais qui a mal au dos est quand même un bon prof ?

J’ai eu l’idée de ce petit article un peu provocateur car j’ai parfois l’impression que certains de mes élèves imaginent que je n’ai jamais mal au dos, et que ma formation de praticienne m’a permis de triompher définitivement de mes difficultés. Ou peut-être est-ce une projection personnelle de ma part, de ma propre idée de ce qu’on attend d’un professeur ?
Il est vrai aussi que j’aimerais bien ne jamais avoir mal au dos !

De fait certaines personnes continuent à envisager la Méthode Feldenkrais comme une sorte de gymnastique douce, qu’on ferait pour se faire du bien, qui nous maintiendrait en forme. Et il est vrai que certains des mouvements qu’on propose dans les séances collectives ressemblent un peu à des abdominaux, ou à des étirements. Et cela convient à certains, surtout ceux qui n’avaient pas mal au dos avant de commencer.
Et de fait, il est toujours intéressant de « bouger », et certaines gyms sont intéressantes et précieuses, comme le Pilates, certains yogas, ou le chiqong notamment…

Mais pour autant, est-ce qu’il y aurait possibilité d’une recette de mouvements à appliquer, et dont la pratique régulière nous protégerait pour toujours du mal de dos ?
Dans ce cas effectivement, le bon prof ne devrait jamais avoir mal au dos…

Personnellement, je n’ai jamais rencontré une telle pratique miracle. Et sans trahir le secret professionnel, j’ai quelques profs de yoga qui viennent me voir pour soulager leurs propres douleurs.
Bien sûr, on peut trouver des mouvements adaptés, qui vont soulager une personne… Parce que ça fait toujours du bien de se remettre à bouger…

Il y a par exemple certaines techniques proposées par des kinés, avec des séries de mouvements à faire chaque matin ou soir. Et je vois des personnes qui obtiennent une amélioration en suivant ces consignes avec discipline… pendant un temps du moins… quelques semaines, ou quelques mois… avant de connaître des rechutes parfois spectaculaires !

Je pense par exemple au mouvement dit « du cobra » où on vient se mettre en extension sur le ventre, en venant se redresser sur ses coudes, puis sur ses bras tendus, qui est sensé relâcher les tensions au niveau des lombaires en favorisant l’extension.

Cela peut faire du bien à certaines personnes, car cela invite à trouver un peu d’allongement, à relâcher certaines tensions dans les dorsales.

Mais il peut y avoir aussi un peu d’appréhension.Qui du coup provoque des crispations, parfois au niveau des hanches, du plancher pelvien, ou du diaphragme, voire des épaules.Et pour continuer le mouvement, la personne se retrouve à trop « cambrer » ses lombaires, au détriment du reste de sa colonne vertébrale, qui augmente le risque de pincement.

Et au bout de quelques temps, la personne constate que le mal de dos empire …

Et se dit éventuellement que c’est de sa faute, qu’elle devrait faire encore plus ses mouvements, y mettre plus de force, forcément…
Ou pas…

L’approche de la Méthode Feldenkrais nous permet de comprendre qu’il faudrait surtout faire autrement, et que le plus important, c’est surtout, surtout, de « bouger en conscience ».

Dans la Méthode Feldenkrais, les mouvements ne sont pas une fin en soi, mais plutôt une porte d’entrée. Ils servent à développer la proprioception, le sens kinesthésique, à interroger nos habitudes, nos manières de faire, pour les faire évoluer vers des mouvements qui nous font du bien.

On comprend très vite qu’il ne peut pas y avoir de « bons mouvements », c’est-à-dire des mouvements qui seraient « bons » une fois pour toutes… Car l’une des premières choses dont on prend conscience, c’est qu’un mouvement peut être effectué d’une multitude de manières, selon là où on prend la force, comment on utilise le soutien du sol, ou bien quelles parties du corps sont mobilisées, avec quelle coordination. Et ce sont ces nuances, parfois très fines, qui feront que le mouvement nous fait du bien, ou au contraire risque de réveiller des douleurs.

Répéter un mouvement de manière mécanique, sans y prêter attention, fait que le système nerveux arrête de s’y intéresser, et ne perçoit plus les signaux faibles qui pourraient nous indiquer que ce mouvement va créer des douleurs.

La Méthode Feldenkrais nous entraîne à prêter attention à ces signaux subtils que nous envoie notre système nerveux, à sentir les différentes nuances dans la manière d’effectuer un mouvement. Elle explore systématiquement des manières différentes de faire, pour que le système nerveux autonome puisse ensuite choisir l’organisation la plus favorable selon l’intention d’action.

Il n’y a pas des mouvements à « corriger » ou des « bons mouvements » à appliquer : le plus important est de développer sa capacité d’attention au mouvement, de « sentir » ce qu’on fait.

 

Selon Ruthy Alon, qui a été l’une des premières élèves de Feldenkrais,

L’amélioration qui se produit, vient (alors) comme par surprise. Il ne s’agit pas de décider d’une correction extérieure. C’est un processus organique de sélection d’une coordination adaptée selon les sensations internes, possibles après des expériences de mouvement en conscience.

Alors si nous revenons à la question du début, est-ce que les profs de Feldenkrais ont mal au dos ?

Pour ma part, je suis venue à la Méthode Feldenkrais suite à une grave hernie discale alors que j’avais moins de 30 ans, qui était sans doute consécutive à une mauvaise rééducation après une fracture du bassin quelques années auparavant, et j’avais fait dans ma jeunesse des années de gymnastique « corrective » qui n’ont jamais suffi à apprendre à me tenir droite.

Je n’ai pas suivi mes premiers cours pour gérer ma douleur, mais avec une prof de chant qui voulait m’aider à apprendre à détendre nuque et épaule. Merci à François Combeau, qui a été mon premier enseignant, et plus tard un de mes formateurs, mon expérience a été que ces premières leçons m’ont apporté un soulagement incroyable à ma hernie qui était pourtant loin de là, à la base du dos. Et que c’est ainsi que j’ai pu récupérer ma mobilité, le plaisir de bouger, et échapper aux sombres prévisions du médecin qui me prédisait que je risquais une deuxième hernie quelques années plus tard.

Il y a eu des rechutes … Bien sûr, pendant une période qui a été bien trop longue à mon goût…

Mais j’avais désormais des outils. Je n’étais plus victime de ma douleur.

La Méthode Feldenkrais me donnait l’impression que je pouvais « ouvrir la boîte noire », comprendre et modifier quelque chose dans mon fonctionnement.

Après tout, c’est ça que nous apprend la douleur : c’est qu’il est temps de changer quelque chose.

Et ce changement se produit de lui-même, pour peu qu’on prenne le temps de s’allonger au sol, de s’écouter, et ensuite de tester quelques mouvements, en conscience, et en douceur…

Et c’est cela l’une des richesses de la Méthode Feldenkrais : elle nous permet de développer un autre rapport à la douleur. On n’y est plus enfermé, on peut écouter ce qu’elle nous dit et en tirer profit pour évoluer.

Alors oui, même praticienne de la Méthode Feldenkrais, j’ai encore des douleurs de dos.

Peut-être parce que je m’écoute plus que certaines personnes : du coup, je suis sensible à des signaux faibles, avant qu’ils ne deviennent des douleurs graves…
Et ce sont autant d’incitations à continuer la pratique, à continuer à développer cette écoute, à varier mes manières d’engager le mouvement. Et j’ai plaisir à constater que ces douleurs se transforment, disparaissent, reviennent ailleurs, se calment à nouveau…

Est-ce que je serais aussi motivée si je n’avais jamais mal ? Est-ce que je prendrais le temps de la même manière ? En tout cas mon expérience m’incite à considérer que ce ne sera jamais du temps perdu… la pratique contribue aussi à la prévention des douleurs.

Avec la Méthode Feldenkrais, on apprend à s’écouter, on apprend à écouter les nuances dans le mouvement, aujourd’hui, pour s’éviter des douleurs importantes demain.

Car oui, le bon mouvement d’hier n’est peut-être plus exactement adapté aujourd’hui, parce qu’il y a eu du stress, une petite blessure, un organe fatigué, ou un peu de surmenage qui ont légèrement désorganisé le corps. Notre système nerveux a une créativité infinie pour inventer de petites compensations, qui sont adaptées aujourd’hui et peut-être créeront des douleurs demain si elles ne sont pas remises en question.

Alors tant que nous sommes vivants, il faut être prêt à interroger, remettre en question nos mouvements, nos actions, les ajuster. Profitons-en :  le cerveau humain est exactement fait pour cela. D’autant que cela contribue à stimuler notre système nerveux, notre enthousiasme et notre vitalité !

Et je suis convaincue aussi que c’est « le fait de continuer très régulièrement à m’allonger pour rouler sur le sol », cette pratique soutenue sur moi-même, qui contribue à nourrir ce que je peux apporter à mes élèves, à faire que cela s’incarne dans mon corps, en plus de me réjouir.

 

Blandine Stintzy, avril 21

 

 

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