Méthode Feldenkrais et Créativité

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Paris

 

Etre parent tout en étant handicapé

Etre parent tout en étant handicapé

Ce matin, j’ai été témoin d’une petite scène de vie quotidienne qui m’a bouleversée. Il y a dans mon quartier un homme plutôt jeune que je croise régulièrement qui porte les stigmates d’un grave AVC. A moins de 40 ans, il est hémiplégique. J’avoue que je l’ai observé plusieurs fois se débrouiller avec des gestes de la vie quotidienne, d’autant plus sensibilisée à la question que j’ai été amenée à accompagner des élèves ayant subi un AVC dans ma pratique Feldenkrais. Cet homme m’a toujours émue. Comme beaucoup d’autres personnes paralysées à la suite d’un AVC, il évolue à un rythme différent : tout prend plus de temps avec une seule main valide. J’ai observé comment il s’organisait pour franchir certains obstacles. J’avais été frappée par une certaine harmonie dans ses gestes, comme s’il prenait le temps de bien réfléchir à son organisation. J’ai été frappée par sa patience, qui semble dire une forme d’acceptation courageuse et de détermination à continuer. Je ne lui ai jamais vu la colère enragée dont certains sont porteurs quand l’AVC les a privés d’une si grande partie de leur mobilité et de leur agilité.

Mais ce matin, je l’ai aperçu à l’heure de la rentrée des classes. Plus exactement j’étais installée à un café qui donne sur sa porte d’entrée, et j’ai vu sortir un petit garçon de 9 ans qui avait un air de famille avec lui, et qui attendait sagement devant la porte… et j’ai découvert que l’homme, que j’avais parfois remarqué en train de se débrouiller tant bien que mal avec son AVC, est aussi un papa. Il fait des efforts, prend sur lui pour accompagner son fils à l’école. Peut-être même que c’est cela qui lui donne la force et la détermination de se battre contre les séquelles de son AVC. Mais ce qui m’a bouleversée, c’est quand j’ai vu comment marchait son fils.

 

Le petit garçon était comme statufié. Il respectait le rythme de son père, et s’appliquait à marcher lentement. Mais c’était aussi tout son corps qui semblait comme paralysé. Il était statufié, et non seulement ses pas étaient très lents, mais toute sa colonne vertébrale était figée, sa tête bougeait à peine. Aucun trépignement dans son corps, aucun élan si caractéristique des enfants de son âge. Plus la moindre impatience, aucune manifestation de vitalité. Tout mouvement était effacé, enfoui ? Le visage lui-même était immobile, sans expression. C’était d’autant plus frappant que cela se déroulait au moment où les enfants bondissent vers l’école, où les parents en retard courent avec leurs bambins. Ce moment de frénésie joyeuse et délicieuse. Je crois qu’on peut marcher lentement et que cela pourrait devenir néanmoins comme une danse, mais là, il me semblait qu’il n’existait plus d’espace pour le jeu, ou au moins une communication enjouée. Il n’y avait que gravité grave… J’ai été submergée de tristesse par ce tableau.

 

J’ai souvent observé avec des élèves atteints de troubles neurologiques sévères qu’il y a une forme de mimétisme dans leur entourage. Mais je l’ai plutôt observé avec des conjoints qui accompagnent. Ils finissent par présenter des symptômes qui ressemblent à ceux de la personne atteinte. Avec un mélange de loyauté, de culpabilité, ou une difficulté à vivre dans un autre rythme que celui de la personne à coté de qui ils passent le plus clair de leur temps. On sait aussi que les enfants ont tendance à ressembler à leurs parents. Ils adoptent des mimiques, des gestes qu’ils voient tous les jours. C’est un instinct de survie et des chercheurs ont même observé que la ressemblance peut survenir chez des enfants adoptés.

 

Mais ce matin, j’ai eu l’occasion de voir comment la paralysie peut être contagieuse.

Et cela a suscité en moi un mélange de tristesse, de colère, d’empathie.

En tant que praticienne Feldenkrais, je sais qu’il est souhaitable qu’un enfant bouge, coure, explore, saute. Parce que cela va aider au développement de son cerveau, à un moment particulièrement important pour la neuroplasticité.

En tant que praticienne Feldenkrais, j’aurais envie d’inciter ce papa à lire les travaux de Norman Doidge, car je le vois courageux. J’aimerais être sûre qu’il connaît l’histoire de Paul Bach-y-Rita. En 1959, celui-ci était étudiant en médecine, et il a décidé d’aider son père hémiplégique depuis des années suite à un AVC. Il l’a obligé à marcher à quatre pattes pendant des heures chaque jour, au point que les voisins (encore des voisins !!!) se sont inquiétés d’une possibilité de maltraitance !… Mais son père a réussi à se remettre en marche !… Et j’aurais envie de dire à ce voisin de quartier qu’il y a peut-être une possibilité pour qu’il retrouve plus de mobilité. Mais en tant que praticienne Feldenkrais responsable, je ne veux pas non plus lui promettre l’impossible… car il faut le reconnaître, les miracles n’ont pas toujours lieu.

Et en tant que voisine lointaine ai-je le droit de me mêler de sa vie ?…

En tant que curieuse qui aime les histoires, ou simplement par empathie, j’aimerais demander aux professeurs du petit garçon si à l’école il bouge comme ses camarades… ou s’ils ont observé chez lui quelque chose qui s’est un peu ralenti. Auquel cas il serait urgent de lui faire pratiquer un sport de manière intensive. J’espère que c’est déjà le cas. Un sport où il se défoule avec ses copains, un endroit où il a toutes les bonnes raisons de bouger comme ceux de son âge.

En tant que praticienne Feldenkrais, je suis sensée attendre qu’il y ait une demande, et je sais aussi que rien n’est possible tant que celle-ci n’est pas sincère et curieuse, et très motivée. En tant que voisine de quartier puis-je aller le trouver en lui disant que j’aimerais inventer des leçons Feldenkrais où le père et le fils pourraient trouver une danse commune où chacun respecterait son propre rythme ? L’enfant pourrait jouer à accompagner certains mouvements de son père, le père pourrait encourager son fils dans des explorations acrobatiques dont il pourrait être une des contraintes. Je rêverais qu’ils fassent « quelque chose » ensemble où la partition de chacun serait pour l’un comme l’autre la possibilité de déployer son propre potentiel.

 

Mais au nom de quoi puis-je me mêler de tout ceci sans avoir juste l’air d’une commère indiscrète ? Peut-être suis-je sensibilisée à la question parce que j’entendais au même café l’autre jour une dame mal-voyante qui s’inquiétait de ce qu’elle ne pouvait partager avec son fils, et de tous les moments dont celui-ci ne bénéficiait pas du fait de son handicap à elle. Oui, les enfants de parents handicapés n’ont pas la même insouciance que les autres, ils ne vont pas se promener comme les autres, avec des parents qui leur montrent, qui les incitent, et sur la protection desquels ils peuvent toujours compter.

Mais quand j’entendais cette maman parler-sans me mêler de la conversation ( !) – je m’étais dit pour moi-même que son fils avait de la chance qu’elle s’interroge ainsi sur son boulot de maman. C’est peut-être cela qui est très important, et qui ouvre une belle voie à la résilience. Oui c’est vrai : son enfant ne sera pas comme les autres. Il va se construire avec une expérience de vie singulière, qui fera de lui un être unique, avec des qualités que d’autres n’auront pas, et cela pourra devenir une merveilleuse richesse…

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