La Méthode Feldenkrais nous rend-elle « douillets » ?
Un des ingrédients essentiels de la démarche Feldenkrais est de restaurer une forme d’écoute de soi qui va ensuite favoriser les ajustements de notre corps dans l’action. Mais cette démarche s’oppose à une injonction profondément ancrée dans notre société, le fameux
« Ne t’écoute pas » !
Qui va de pair avec la croyance que s’écouter serait un signe de faiblesse !
Dans cet article, je voudrais vous rappeler pourquoi l’écoute de soi à la « manière Feldenkrais » peut au contraire nous aider à devenir plus forts, plus performants, plus résilients. Et bien sûr, nous aider à prévenir les problèmes articulaires et osseux, et donc les douleurs qui vont avec!
Est-ce que tout cet entraînement à sentir les nuances, ce qu’il se passe dans mon corps, tu crois pas que ça peut contribuer au fait qu’on est plus sensible à la douleur, et même favoriser cette sensation de douleur ?
C’est la question que me posait récemment une des personnes que j’accompagne, et qui venait de traverser une phase de douleurs aigües qui lui compliquaient la vie. Je comprends sa colère : la vie est tellement plus simple quand on n’a pas mal ! Alors le premier réflexe quand on sent une douleur, c’est souvent une forme de déni… On espère que si on n’y prête pas attention, cela va passer.
Et parfois ça marche ! Ce qui n’est pas forcément une bonne chose car des compensations s’installent jusqu’à ce que la douleur augmente…
Et quand ça ne marche pas, on cherche une raison contre laquelle retourner sa colère : à force de s’entraîner à sentir les moindres détails de ce qu’il se passe à l’intérieur de soi, eh bien on sent encore plus les douleurs !
Et effectivement, j’ai parfois des personnes qui viennent me voir pour une douleur lombaire ou à l’épaule… Et la première séance individuelle est pour elles l’occasion de se rendre compte à quel point elles ont des douleurs un peu partout !
Car oui, notre corps en mouvement fonctionne comme un système global où chaque élément est relié au tout. Quand on a mal à un endroit, et qu’on « ne s’écoute pas », cela peut favoriser toute une spirale négative.
Des compensations s’installent peu à peu, créent des tensions, qui à leur tour vont générer des dysfonctionnements articulaires. Le corps s’abîme. Jusqu’à ce que les douleurs deviennent insupportables, voire chroniques.
Donc oui, on peut dire que la pratique de la Méthode Feldenkrais rend nos douleurs plus sensibles ! Ou dévoile notre sensibilité à la douleur!
Mais elle nous donne surtout des clés pour les apaiser !
Développer des choix et des ajustements
Car le propre de l’apprentissage Feldenkrais, c’est de s’entraîner à s’écouter en même temps qu’on se met en mouvement, donc en action. Des petits mouvements, effectués en évitant la douleur et même la sensation de « forcer ». Les pratiquants sont invités à découvrir de multiples manières d’engager ces actions, qui vont restaurer toute une gamme de choix pour notre système nerveux autonome, et surtout stimuler le fonctionnement du système sensori-moteur, dont on peut rappeler une définition :
Les êtres vivants disposent de mécanismes sensorimoteurs qui leur permettent d’établir des relations entre eux et le milieu environnant. L’exécution de ces fonctions de relation nécessite le plus souvent un contrôle permettant la comparaison entre les actes moteurs et les informations sensorielles, que celles-ci soient directement la conséquence du mouvement ou non. Ces contrôles permettent en particulier de compenser les erreurs pendant l’exécution ou d’adapter cette exécution soit à des contraintes environnementales, soit à une altération de la perception ou, sur un plus long terme, à une évolution des paramètres corporels au cours du développement ou du vieillissement (longueur des membres, efficacité des muscles, etc.).
Extrait du livre LA PSYCHOLOGIE COGNITIVE, sous la direction de Michel Denis
On ne peut avoir appris « le bon geste » une fois pour toutes, car les conditions d’exécution d’un mouvement sont toujours susceptibles de changer. Et notre capacité d’adaptation est essentielle pour maintenir l’efficience de nos mouvements et surtout l’intégrité de notre corps. C’est pourquoi il est si important d’apprendre à bouger en s’écoutant…
Gérer les signaux faibles pour éviter les douleurs graves
Et la Méthode Feldenkrais ne nous apprend pas seulement à repérer les signaux faibles de douleur, mais surtout elle nous donne des outils pour les gérer. Des petits protocoles de mouvements simples, qu’on peut refaire pendant quelques minutes pour délier les tensions et retrouver souplesse et efficacité. Et qui ménagent notre anatomie et respectent la forme de nos articulations.
Ainsi certains de mes élèves m’expliquent qu’ils refont certains gestes des leçons le matin avant de se mettre en route, ou à certains moments de la journée à leur bureau, voire le soir en rentrant…
- tout doucement lever une épaule vers le plafond en inspirant et la relâcher quand on est assis
- quelques mouvements d’horloge du bassin, assis ou allongé
- ou des torsions assis ou allongé sur le côté, ou sur le dos.
- Détendre les yeux pour dénouer le cou
- ou tout simplement des « balayages corporels », éventuellement nourris d‘Open Focus.
Chacun est invité à trouver ses propres pratiques, à les ajuster au fur et à mesure, pour stimuler cette capacité du système nerveux à s’adapter au fur et à mesure, dans nos activités quotidiennes, à partir de cette boucle sensori-motrice. La Méthode Feldenkrais est une invitation à l’autonomie !
Même si oui, il y a besoin d’un entrainement régulier, pour se reconnecter à cette écoute qui permet l’ajustement. Parce que nous avons souvent tendance à nous déconnecter de notre corps, surtout quand on fait des gestes répétitifs, comme certains musiciens, ou bien qu’on passe beaucoup de temps assis à des taches intellectuelles. Le stress aussi augmente nos tensions musculaires et nous coupe de notre capacité d’auto-ajustement.
Une qualité d’écoute qui apaise le système nerveux
Avec la Méthode Feldenkrais ous apprenons à écouter « les inconforts » avant qu’ils ne se transforment en douleurs. Et nous avons à notre disposition des pratiques qui vont permettre au système nerveux qu’il a le choix, qu’on peut faire autrement, en se préservant. Et cela va développer un vrai sentiment de sécurité, qui permet ensuite autant d’ouverture en confiance au monde.
Les personnes qui viennent à des séances Feldenkrais témoignent régulièrement qu’elles sentent que cela fait baisser leur stress, et qu’elles se sentent plus légères et apaisées à l’issue des séances. Et ce mieux-être se prolonge dans les jours suivants, où elles bougent de manière plus fluide et souple.
Alors que si on attend trop longtemps avant d’écouter un signal d’inconfort, il peut se transformer en douleur chronique. Et là, il y a un travail beaucoup plus important et plus long à mener pour s’en débarrasser.
Mais il y a une bonne nouvelle : chaque moment où l’on découvre comment « faire autrement », est aussi un moment d’enthousiasme, où le système nerveux se réjouit de sa découverte, savoure une légèreté retrouvée! Les neurosciences ont démontré qu’il y a alors de nouvelles connexions neuronales qui se construisent, et notre corps et notre cerveau apprécient.
Une question de bon sens
Pas la peine d’attendre de mourir de faim pour manger.
Pas la peine d’attendre qu’une voiture soit en panne pour réaliser qu’il fallait l’entretenir…
Donc mettre régulièrement l’attention sur des signaux faibles d’inconfort nous met en face de notre fragilité et du fait que nous pouvons ressentir des douleurs. Mais c’est sans doute une habitude raisonnable à mettre en place, assortie de pratiques de mouvements adaptées, pour prévenir la survenue de douleurs plus importantes.
Et pour répondre à la question de départ, on peut aussi se souvenir que « douillet » cela veut dire moelleux, confortable, qui nous enveloppe. Une manière de prendre soin de soi !
Et si vous avez déjà des douleurs importantes, venez quand même! Nous mènerons tout une exploration pour les apaiser peu à peu, défaire les compensations, et ça peut devenir des moments très intéressants, nourrissants, et d’ouverture.
Et les neurosciences ont montré que toutes ces connexions sensorielles que nous rétablissons vont aussi stimuler les fonctions cognitives, mais je vous en dirai plus dans un prochain article de blog !
Blandine Stintzy
septembre 24
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