Méthode Feldenkrais et Créativité

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Feldenkrais, Ukraine, Guerre et Force de Vie

Feldenkrais, Ukraine, Guerre et Force de Vie

La Méthode Feldenkrais nous ouvre la porte d’une dimension subtile du bien-être.
Et pourtant Moshe Feldenkrais est né et a grandi dans un monde marqué par les conflits, les guerres, les massacres, où l’enjeu de survie était primordial… Et cette expérience fondamentale a nourri ses découvertes. Comment est-ce possible ?

Feldenkrais, est-ce bien sérieux?

Alors que je réfléchis pour affiner un sujet d’article pour ce blog, sur la Méthode Feldenkrais, le bien-être, la subtilité du mouvement, l’accomplissement des intentions, je m’aperçois qu’une partie de moi trouve ceci bien dérisoire. Nous sommes le 28 février 22.
Mon attention revient sans arrêt guetter les dernières nouvelles de cette guerre qui se déroule depuis quelques jours aux portes de l’Europe.

Où en sont les chars russes ?…
Comment les Ukrainiens parviennent-ils encore à résister ?…
Et comment aurions-nous pu imaginer que cela arrive il y a encore quelques jours ?

Alors est-ce vraiment le moment de se rouler délicatement sur un tapis en interrogeant telle ou telle vertèbre ? Car c’est bien cela que nous faisons concrètement avec la Méthode Feldenkrais…

Se poser sur le tapis, observer sa respiration…
Ukraine…

Mais au fait, c’est justement là qu’est né Feldenkrais dont je raconte régulièrement des bribes d’histoire à mes élèves.

 

Moshe Feldenkrais, Russe ou Ukrainien ?

Et ça se complique, déjà !

Moshe Feldenkrais est né dans un shetl (zone réservée aux Juifs) à  Slavouta en 1904.
A l’époque c’était une ville de la Russie tsariste, et c’est plus tard qu’elle fera partie de l’Ukraine. Et d’ailleurs ce n’était pour lui que la première étape d’une vie pleine de déplacements et de voyages… même s’il était né dans une famille de notables, aisée et cultivée, et ancrée dans la tradition hassidique. L’un de ses ancêtres avait été un rabbin reconnu au XVIIIème siècle.

Selon sa biographie rédigée par un de ses élèves, et formateur Feldenkrais Mark Reese

(Feldenkrais) apprit très tôt que le changement est une règle dans la vie et non une exception. Prévoir le prochain pogrom et percevoir les tendances géopolitiques (…) étaient à cette époque des sujets quotidiens de préoccupation.

Alors qu’il était âgé de 4 ans, la famille déménage à Kremenets proche de la frontière polonaise. Et nouveau déménagement à Baranovitch (aujourd’hui en Bielorussie) alors qu’il avait 11 ans.  La vie des Juifs en Russie était très éprouvante, ils étaient soumis à de nombreuses restrictions. Et cela devient encore plus difficile avec la première Guerre Mondiale dont Baranovich est l’un des centres du front oriental.

Des souvenirs d’enfance hantés par la violence et la mort

Mark Reese cite ainsi un texte rédigé par Moshe Feldenkrais dans un de ses cahiers de classe

« Cela se passait il n’y a pas longtemps, en 1915. Un pauvre hère frappa à notre porte et, avant de demander la charité, il tendit un rouleau de papier à notre mère. Sur le rouleau étaient écrits les mots suivants :

La ville dont j’ai été chassé est sur la frontière germanique. Pendant les vacances de Pessah (Pâques), les Allemands ont fait donner leur artillerie. La Maison d’étude (synagogue) étant très proche de la cible des tirs, seize Juifs furent tués. Les autres purent s’enfuir. Des femmes avec des enfants et des bébés dans les bras, prises de panique, couraient dans la rue. La plupart furent tuées. Les autres rampaient au sol dans la neige pour ne pas être atteintes par les balles, mais à cause du froid beaucoup moururent (…) Le notable de la ville prit le rouleau de la Torah et chercha à s’enfuir. Le commandant russe l’interpella alors : Vas-tu à la rencontre des Allemands avec ta Torah ? Et il le fit pendre sur le champ. Ensuite un Juif qui portait de l’huile de chauffage à vendre rencontra des Cosaques qui lui demandèrent s’il y avait beaucoup d’Allemands dans la ville polonaise. Il répondit « Quelques-uns ». Ensuite ils se dirigèrent vers les Chrétiens derrière lui qui eux répondirent « il y en a beaucoup ». Alors les Cosaques attaquèrent le Juif et le poignardèrent en lui disant « Juif, tu voulais notre perte ». Telles étaient les paroles sur le rouleau… »

Moshe Feldenkrais raconte aussi un incident survenu dans son enfance, alors qu’il retournait voir sa famille à Slavouta avec son père pendant la guerre.

« Quand nous avons dû rentrer à la maison, il y avait un barrage… Nous étions venus dans une carriole couverte avec six personnes. Un fermier… un Ukrainien, conduisait la carriole. Les Cosaques l’arrêtèrent… Et comme tous les passagers étaient Juifs, ils commencèrent à les délester de leur argent. A coups de crosse de fusil, ils en tuèrent deux… Mon père, voyant qu’il n’avait rien à perdre, tira de la carriole une grande perche reliée aux chevaux et frappa le Cosaque qui menait le groupe et le tua. Les autres s’enfuirent. Mais arrivé à Baranovich, mon père avait un bras cassé et on l’emmena à l’hôpital. »

La violence et la mort font donc partie de la vie de Moshe Feldenkrais dès son plus jeune âge. En 1918, il quitte le foyer familial et part à pied pour Israël avec un groupe d’adolescents : le voyage durera 6 mois. Et la vie en Palestine – à l’époque sous protectorat anglais, n’est pas simple pour les Juifs qui n’ont pas le droit d’avoir d’armes. Moshe, qui travaillait alors comme ouvrier, puis cartographe, consacre son talent à inventer des méthodes d’autodéfense. Ses premiers livres en hébreu seront consacrés au jiu-jitsu et un autre aux techniques d’autosuggestion.

Ce n’est qu’en 1930, âgé de 26 ans, qu’il ira en France pour reprendre des études d’ingénieur. Il aurait pu alors se consacrer à la science et au judo dont il devient l’un des promoteurs en France. Mais cette fois c’est la Seconde Guerre Mondiale qui bouleversera ses plans et l’obligera à fuir vers l’Angleterre juste avant l’arrivée des Allemands à Paris.

Les études et la curiosité intellectuelle.

Donc dès son enfance, l’obsession de la survie, d’une force physique, de la mobilité, d’une capacité à réagir et à rebondir quelque soit la situation.
Mais aussi un grand engagement dans les études, aussi bien pour une éducation religieuse qu’une grande curiosité scientifique. Moshe a été éduqué dans des écoles rabbiniques et tous ceux qui l’ont connu plus tard parlent avec émotion de sa bibliothèque et du fait qu’il a toujours continué de lire plusieurs heures par jour.

Moshe Feldenkrais raconte justement qu’il était particulièrement attiré par tous les ouvrages qui mettaient l’accent sur le développement du potentiel des gens. Parmi les premiers livres qu’il découvre à 12 ans, les écrits d’Auguste Forel (1848-1931) un des biologistes les plus fameux de l’époque : il défendait l’égalité des femmes dans un livre qui a été un « best-seller » : La Question sexuelle. Mais signalons que c’était aussi un personnage controversé pour ses opinions sur l’eugénisme.

En tout cas, il semble que ses écrits ont nourri la curiosité de Moshe Feldenkrais pour les neurosciences, car Forel s’intéressait à une discipline clinique émergente, l’hypnose, dont il a été un des pionniers. C’est peut-être là que Moshe s’est intéressé pour la première fois à cette possibilité de développer les potentialités humaines en soulevant les questions

-Du rapport entre action volontaire et involontaire
-De l’influence des images mentales sur la physiologie, l’apprentissage et le comportement.

Et l’intérêt de Feldenkrais pour l’hypnose se confirme dans les années 1930 où il va étudier le training autogène de Schulz et publier un livre sur la technique d’autosuggestion d’Emile Couet. Il s’intéressera plus tard au travail de Milton Erickson et à la PNL. Même s’il n’a jamais pratiqué l’hypnose en elle-même, il s’en est sans doute nourri pour les images verbales qui marquent son enseignement, ainsi que sa dimension empathique.

Développer son potentiel

On retrouvera bien plus tard Moshe Feldenkrais dans tous les mouvements de développement personnel à partir d’approches humanistes, quand il sera aux Etats Unis. Il enseignera notamment à Esalen, lieu de rencontres de la psychologie occidentale et des traditions spirituelles d’Extrême Orient. Autant de courants que nous associons aujourd’hui plutôt à une vision « baba-cool » du monde.

Or la méthode Feldenkrais n’est pas une méthode de relaxation comme on le dit souvent, mais bien une méthode pour développer sa puissance et ses ressources face aux situations difficiles. Feldenkrais a développé cette capacité que nous avons en nous de rétablir un bon fonctionnement en nous appuyant sur la notion de bien-être. Il a choisi de le faire principalement par le mouvement, et les recherches les plus récentes en neurosciences (sujet d’un prochain article de blog ? ) montrent l’efficacité de la proprioception pour cela.

Car  les enjeux de survie ont toujours été prégnants dans son travail. Vaincre l’anxiété, apprendre à ajuster sa posture et ses mouvements à ses intentions, développer son potentiel : c’est la démarche qu’il proposait, et c’était bien pour faire face à toute sorte de situations. Et c’est un processus …

« qui toujours évolue, à partir des divers éléments de notre passé, constitue de nouveaux schémas propres à répondre à nos besoins actuels et à ceux de notre milieu »

Ainsi qu’il le dit lui-même dans un de ses derniers ouvrages, LA PUISSANCE DU MOI.

Alors oui, quand l’anxiété nous menace, continuons de prendre le temps de nous rouler sur un tapis. Et l’une des richesses de la Méthode Feldenkrais, c’est que nous pouvons pratiquer n’importe où, sans matériel, n’importe quand, allongé, mais aussi assis, ou debout…

Quelques soient les circonstances, on peut toujours questionner son mouvement par rapport à son intention, et cela réveille en nous une énergie profonde, qui nourrit notre force de vie.

Et à l’heure où j’écris ces lignes, je continue d’espérer que la guerre qui vient de commencer en Ukraine pourra trouver une issue favorable et rapide. Car je suis convaincue qu’il y a une autre guerre sur laquelle nous devons rapidement nous engager, et qui touche l’ensemble de l’humanité, c’est la guerre climatique. J’y avais déjà consacré un article de mon blog, et je continue de penser que la pratique de la Méthode Feldenkrais y a son rôle à jouer.

 

Blandine Stintzy
3 mars 22

 

 

 

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