les trois sens… de l’équilibre

Le maintien d’un bon équilibre repose sur l’utilisation harmonieuse de trois de nos sens : la vision, le système vestibulaire, et la proprioception. Connaissez-vous bien les deux derniers ?

Car oui, nous possédons un peu plus que 5 sens !..

Régulièrement, je demande à mes élèves « combien de sens avez-vous ? »
Et la réponse de « bon sens commun » est … CINQ.
C’est bien ce que nous avons appris à l’école, et cela date d’Aristote. Mais ces 5 sens, la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher, ne sont que nos sens extéroceptifs, c’est-à-dire qu’ils nous renseignent sur ce qu’il y a à l’extérieur de nous, une certaine conception de la « réalité »…

Mais depuis une bonne vingtaine d’années, les scientifiques ont remis en question cette définition des sens, et actuellement, on en dénombre au moins 4 supplémentaires, ainsi que vous pourrez les trouver, explicités dans cet article/podcast de France Culture : Les 4 sens que vous ne connaissez pas

L’idée classique c’est de considérer qu’on a trop longtemps négligé les sens qu’on appelle internes au profit des sens qu’on dit externes, parce qu’observables. […] Il y a un large consensus chez les scientifiques de type ‘sciences dures’ en faveur de l’hypothèse qu’il existe plus de cinq sens. Ils y ajoutent sans problème la thermoception, la nociception, la proprioception et l’équilibrioception… Pour les sens humains en tout cas.

Car certains animaux peuvent aussi détecter les champs magnétiques et les champs électriques, et puis il peut y avoir une dimension philosophie dans la définition des sens,  mais ceci nous emmènerait trop loin pour aujourd’hui…

Revenons au corps, aux informations que traite le système nerveux sur ce qui se passe à l’intérieur de nous. Avec la Méthode Feldenkrais, nous travaillons plus particulièrement la proprioception, c’est-à-dire le sens que nous avons de nous-même dans l’espace et dans le mouvement. Et nous parlons régulièrement aussi du système vestibulaire.

Le système vestibulaire, ou équilibrioception

C’est le sens qui régit notre équilibre, logé dans notre oreille interne. Son bon fonctionnement est très sophistiqué, utilisant des canaux semi-circulaires pour suivre les rotations de la tête dans l’espace et le système otolithique, avec les fameux petits cristaux, qui renseigne sur les inclinaisons de la tête dans l’espace et les accélérations. Tout ceci est fort bien expliqué dans un article récent du Monde…  qui décrit aussi les pathologies de l’équilibre quand ce système ne fonctionne pas bien.

Le système vestibulaire ? Un sixième sens méconnu. Il joue pourtant un rôle crucial dans le maintien de notre équilibre, la stabilité de notre regard, notre orientation dans l’espace. Ressentir l’accélération ou la décélération d’un ascenseur, éprouver un virage serré en voiture sont autant de sensations que nous lui devons. Il intervient encore – mais, ici, son mode d’action est plus obscur – dans notre perception du temps, le rythme de nos sécrétions hormonales, la qualité de notre sommeil, notre densité osseuse…

Mais voilà, on ne s’intéresse à ce sens que quand il est déficient… ce qui est le cas pour les patients atteints de troubles de l’oreille interne ET… pour les spationautes qui reviennent de missions dans l’espace qui les ont tenus éloignés de la terre et de sa gravité pendant plus de 6 mois.

La galère des troubles de l’oreille interne

Dans cet article du Monde, les patients racontent souvent une errance longue et difficile pour arriver à un diagnostic après les premiers symptômes.

Il faut dire que ceux-ci ressemblent tellement à l’ébriété : se cogner aux murs, zigzaguer dans la rue, tomber en perdant l’équilibre, et puis des nausées. Alors on ne se gêne pas pour leur conseiller de « moins boire », en rigolant, ou bien d’éviter le stress ou de prendre des vacances…

Et tous vivent le moment du diagnostic de ce trouble sensoriel invisible, souvent après des années d’errance médicale, comme un soulagement… au point qu’ils ont créé une association de patients. Et voici d’ailleurs la référence d’un manuel pour expliquer ces troubles, détailler le fonctionnement du système vestibulaire, et montrer des témoignages, accessible gratuitement : J’ai perdu le sens de l’équilibre !  

Cela arrive à des jeunes gens de 24 ans, y compris des sportifs de haut niveau. Le symptôme peut disparaître pendant des mois, réapparaître. Mais tous témoignent d’une intense fatigue causée par tous les efforts pour maintenir l’équilibre, et d’un repli progressif parfois de toute vie sociale, pouvant aller jusqu’à des idées suicidaires…

Equilibre et vision

Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c’est le lien entre ce sens de l’équilibre et les autres sens que nous pouvons entraîner avec la Méthode Fdeldenkrais.

Et justement un des test pour diagnostiquer le VBI (troubles de vestibulopathie bilatérale idiopatique) est l’épreuve du fauteuil rotatoire, qui rappellera certaines questions que l’on peut explorer avec la Méthode Feldenkrais.

Assis dans le noir, le patient porte des lunettes équipées d’une caméra infrarouge qui enregistre les mouvements spontanés de ses yeux. En temps normal, quand notre système vestibulaire détecte une rotation de notre tête dans un sens, un réflexe déclenche, en sens inverse, une rotation de nos globes oculaires. « Ce processus assure la stabilité de notre regard »(…) . Mais chez les patients atteints de VBI, le déficit vestibulaire abolit ce réflexe. A l’épreuve du fauteuil rotatoire, aucun mouvement oculaire n’est détecté. D’où leur vision floue et saccadée lorsqu’ils se déplacent en terrain accidenté – un trouble nommé « oscillopsie ».

Equilibre et proprioception

Mais le plus intéressant pour ce qui nous concerne ici, c’est le lien entre l’équilibre et la proprioception…

C’est d’ailleurs un des axes d’une nouvelle recherche menées par des scientifiques français en liaison avec la NASA : en apesanteur, les astronautes perdent leurs données de proprioception mais aussi les fonctions de leur oreille interne liées à la gravité. Il s’agira alors d’évaluer si les troubles d’équilibre qu’ils éprouvent au retour pendant quelques jours est due au manque d’informations proprioceptives. Ce qui sera crucial pour les voyages sur Mars, vu leur durée estimée…

Mais revenons aux simples mortels atteints de trouble de l’équilibre, l’une des manières les plus efficaces de les aider, est de leur proposer de développer leur proprioception. Cela peut être par la rééducation, ou par des activités corporelles. Ainsi le témoignage de Noémie dans l’article du Monde :

A force de pratiquer des activités avec mes enfants, comme la randonnée, j’ai développé des réflexes pour conserver mon équilibre. Mes chevilles sont devenues plus fortes ; toucher un meuble ou un mur m’aide aussi.

Et les scientifiques ont mis en évidence des phénomènes de neuroplasticité : des neurones produits par le cerveau adulte pour compenser les lésions vestibulaires et restaurer l’équilibre…

Il y a aussi d’autres pistes de traitement pour les personnes atteintes de troubles de l’oreille interne, y compris la possibilité d’implants vestibulaires…

 

La Méthode Feldenkrais pour un meilleur équilibre

Les scientifiques ont donc mis en évidence à quel point la proprioception et le regard pouvaient pallier des déficiences d’oreille interne pour retrouver un meilleur équilibre.

Mais même sans lésion particulière, la pratique de la Méthode Feldenkrais va aider tout un chacun, grâce à un travail de prise de conscience, à développer un meilleur ancrage au sol, une plus grande fluidité dans le mouvement des yeux.
Cela fait partie des propositions qu’on peut faire en début et en fin de leçon : se tenir debout, avec les yeux ouverts ou fermés, et constater à quel point on a gagné en stabilité en se reliant pendant tout un parcours de mouvement à sa proprioception…

Alors, prêt à essayer ?
Etes-vous prêt à vous tenir debout sur une jambe, ou même à faire quelques pas en gardant les yeux fermés ?
Difficile? Facile?
Quand vous voulez pour le test “avant-après” à l’occasion d’une leçon de Méthode Feldenkrais…

 

Blandine Stintzy
Novembre 22