du face à face au tête-à-tête !
Sans même nous en rendre compte, nous avons l’habitude de communiquer en nous mettant en face de notre interlocuteur, augmentant ainsi le risque d’échanger des postillons. Pourrait-on envisager autrement la complicité du tête-à-tête ? Je vous propose en fin de cet article quelques pratiques pour vous entraîner à communiquer en meilleure sécurité, et découvrir d’autres facettes de nos interlocuteurs !
Depuis quelques jours l’obligation de porter le masque se généralise en France et aussi dans d’autres pays du monde. Et les râleurs se mobilisent pour protester… avec comme argument notamment que cela va nous empêcher de communiquer ! Je ne prendrai pas partie dans le débat sur l’utilité du masque, puisque les preuves scientifiques évoluent chaque jour : je préfère préserver mon énergie.
En revanche, la Méthode Feldenkrais nous invite à composer avec les contraintes pour le meilleur, et d’en faire autant d’occasions d’apprendre et de découvrir sur soi. Alors si on en profitait de cette obligation du masque pour élargir notre palette et jouer avec d’autres manières de communiquer ?
La Covid-19 a été pour moi l’occasion de porter attention à certains phénomènes que je n’avais jamais notés jusque-là, liés à la manière dont on communique, et dont certains peuvent jouer un rôle dans la transmission d’un virus.
La question est : comment communiquons-nous ?
Cela varie selon les cultures, et largement d’un pays à l’autre. Je vous conseille notamment sur le sujet le passionnant livre d’Ervin Goffman « les rites d’interaction dans la vie quotidienne ». Il a comparé les distances sociales entre l’Egypte et les US, ou les manières de faire la queue en Angleterre, ou en France !
Le premier phénomène qui m’a frappé, c’était pendant le confinement dans mon quartier. Une voisine « à risque » qui a réussi donc à se faire prescrire un masque alors que la France en manquait. Elle l’utilise pour faire ses courses. Et voilà que tout à coup, elle reconnaît une personne qu’elle connaît.
Aussitôt, elle abaisse son masque et s’avance vers son amie pour lui parler en face, à la distance habituelle qui doit être de 70 cm. Sans se douter qu’elle vient de mettre à mal tout son désir de se protéger !
Mais chez elle, c’était sans doute une manière de signifier son intérêt et sa politesse.
Notre manière d’être avec quelqu’un est conditionnée par notre éducation, par nos habitudes, par notre civilisation. On se montre « à découvert » et on se « fait face ».
Sauf que… lors du déconfinement, j’ai eu hâte de retrouver mes amis, et je me suis aperçue que… certains d’entre eux postillonnent quand ils parlent. Très légèrement : je n’y aurais jamais prêté attention si je n’avais pas été sensibilisée à la question de la contamination par les microgoutelettes ! Mais le constat est là : nous communiquons par la bouche et rapprochons la nôtre de celle de notre interlocuteur pour lui parler. Bien en face !
Pas très « safe » donc, cette manière de parler poliment que nous avons apprise !
Cette habitude culturelle de nous rapprocher pour nous parler bien en face pourrait à elle seule justifier le masque ! Et oui, ensuite nous avons des tas de raisons de nous plaindre que nous comprenons beaucoup moins bien nos interlocuteurs. Sans en avoir conscience, même les personnes qui entendent bien utilisent la lecture des lèvres pour écouter leur interlocuteur. Une petite vidéo amusante (en anglais) nous présente l’effet Mc Gurk, où l’on démontre qu’on peut entendre un « V » alors que l’interlocuteur prononce un « B » si l’on truque l’image !
Mais pour l’heure, je voudrais simplement vous inviter à développer votre compétence à parler en « tête à tête ».
Comme dans ces fauteuils un peu rétro où deux personnes peuvent s’asseoir côte à côte en regardant chacun dans la direction opposée. Elles sont donc épaule contre épaule, ou oreille contre oreille. J’aime bien l’idée du tête-à-tête : cela peut être délicieux, plus ludique, que le face à face.
Dans face à face, je peux entendre l’idée de l’affrontement, alors que le tête-à-tête évoque une intimité complice.
Et pour apprendre, la chose la plus importante est d’abord d’observer notre tendance à tourner à la fois notre visage et notre regard vers ce qui mobilise notre attention ! Oui, c’est la moindre des choses, mais ce n’est pas une fatalité
On peut commencer par développer la souplesse des vertèbres cervicales :
- Tournez la tête pour aller regarder du côté Droit, et observez jusqu’où vous allez facilement sans tourner les épaules ( et sans tricher). Puis faites pareil du côté Gauche. Il y a beaucoup de chances pour que vous remarquiez que vous tournez plus facilement la tête d’un côté que de l’autre.
- Emmenez vos yeux vers la D avec la tête immobile. Puis faites pareil à G : sentez la différence.
- Gardez votre regard fixé devant vous, et tournez la tête d’un côté puis de l’autre.
- Et maintenant emmenez la tête d’un côté et le regard de l’autre.
- Puis reposez-vous un peu : que sentez-vous ? qu’est-ce qui vous a fatigué ? peut-être de faire un peu trop ?!
- Reprenez le premier mouvement et sentez si c’est un peu différent. Votre nuque est-elle un peu plus déliée ?
Puis on peut entraîner son attention et apprendre à la différencier du regard.
Pour cela j’aime beaucoup un exercice qui m’avait été transmis par Maître Wong, qui a été pendant quelques années mon professeur d’arts martiaux internes :
- La tête restant immobile, regardez à Droite, en portant attention à ce qu’il y a à Gauche. Quels sens sont sollicités ? Quelle qualité d’attention est alors mobilisée ?
- Puis regardez en Haut, en portant attention à ce qu’il y a en Bas, vers le sol.
- Puis regardez à Gauche en portant attention à ce qui est à Droite.
- Puis regardez en Bas en « pensant Haut ».
- Et faites cela plusieurs fois dans un sens puis dans l’autre, en variant le rythme.
Pour ma part cet exercice me procure une étrange sensation que mon cerveau se décolle de la boîte crânienne : c’est pareil pour vous ?
Puis il faut apprendre à différencier l’attention du mouvement, mais ça vous paraître facile car vous pourrez maintenant utiliser votre regard.
Le mieux est de s’entraîner avec un interlocuteur que vous placez en diagonale.
- Pouvez-vous regarder votre interlocuteur tout en détournant le visage de l’autre côté ?
- Et maintenant pouvez-vous regarder votre interlocuteur en diagonale tout en amenant le visage de l’autre côté, et lui porter attention, et porter attention à ce que vous vous dites… tout en surveillant que votre visage reste orienté vers l’autre côté ?
Pas très habituel n’est-ce pas ? mais intéressant !
Avez-vous choisi votre côté préféré ?
Cela peut dépendre de votre facilité à emmener le regard d’un côté ?
Mais aussi de votre oreille qui entend le mieux.
N’hésitez pas à jouer avec toutes les pistes d’amélioration possibles et à demander à votre interlocuteur de vous aider.
Et si c’est un interlocuteur avec qui vous gardez le masque, bien sûr, vous serez frustré de ne pas voir son visage, mais on parle aussi du « masque facial ». J’ai été frappée dans le film Le Chant de la Forêt qui est une fiction qui a été tournée avec des Indiens de la Forêt Amazonienne, et qui raconte le parcours d’un jeune chaman. Dans ce village très lointain, les individus n’ont aucune expression faciale, et pourtant, ils communiquent bien entre eux. En parlant moins que nous aussi, sans doute…
- Et maintenant peut-être même pourriez-vous vous amuser à porter attention à votre interlocuteur en détournant la tête et sans le regarder. Votre visage et vos yeux ne sont pas vers lui et pourtant vous lui consacrez votre attention. Et pour cela, notez le calme qui est nécessaire à l’intérieur de vous.
Vous ne pouvez écouter l’autre sans vous écouter vous-même aussi.
D’une manière générale, et particulièrement dans nos sociétés occidentales, les informations visuelles occupent beaucoup de place dans notre cerveau, au détriment des autres canaux sensoriels. Alors peut-être qu’en renonçant pour un temps aux plus évidentes expressions de visage, à cause ou grâce aux masques, vous découvrirez une autre manière de communiquer avec votre interlocuteur. Une manière qui prendra en compte le langage du corps, une écoute du degré de calme ou de stress, la musicalité de la voix, la qualité des silences.
C’est cela aussi, « être ensemble » ? …
Blandine Stintzy, août 2020
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